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il faut moral(e) garder
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2 novembre 2012

Serpents, loup et autres cauchemars

 

maison-2

Le liquide chaud coule le long de mes cuisses sans que je puisse le retenir. Je le sens qui serpente autour de mes chevilles, pour finir sa course dans mes chaussures, trempant au passage tout le bas de ma robe et mon collant de laine. Je suis paralysée. Je sais déjà qu'il va devenir glacial dans quelques secondes et me brûler les cuisses comme de l'azote liquide. Je ne sais pas encore ce qu'est l'azote, mais je sais déjà que je vais les décevoir, une fois de plus. Je sais déjà qu'on va me réprimander et me punir. Madame Coquette, c'est ainsi que s'appelle ma maîtresse, me regarde d'un air sévère tout en me demandant sur un ton glacial de me lever. A côté d'elle, ma mère, qui vient d'arriver, furieuse et confuse, me houspille comme si elle n'y était pour rien. Je reste assise sur ma chaise d'élève modèle de classe de CP, le visage brûlant de larmes, incapable d'optempérer. Peut-être que si je reste assise là, sans bouger, elles vont s'éloigner et me laisser sécher tranquille ? Je viens de transgresser une loi, c'est certain, car non seulement je suis énurétique, mais qui plus est incontinente. A mon âge, c'est tout à fait inadmissible : quand on est en classe de CP, on est propre. Point. Moi, je suis sale. C'est manifeste, vu que je ne sais pas me retenir. D'ailleurs, pour que je comprenne bien à quel point je suis dégoûtante, on m'ôte mes collants et ma culotte trempée, laquelle sera posée sur ma tête, telle le trophée de la bienséance contrariée, c'est tout ce que je mérite. D'où vient cette idée stupide que l'humiliation peut guérir ?

Je me suis mise à bégayer depuis quelques temps. Je ne comprends pas pourquoi, mais les mots essaient de sortir de ma bouche bien plus vite qu'il n'est possible. Du coup, ça bouchonne et ça freine, puis ça fait comme une petite rafale. Le médecin a demandé à ma mère si j'avais eu un problème récemment et, finalement, devant sa réponse négative, a dit que ce n'était pas très grave et a prescrit des petits granulés que je dois avaler quotidiennement. Est-ce que les petits granulés vont s'agglomérer et freiner le flot de mes mots ? Est-ce qu'ils vont faire comme des petits sentiers dans lesquels les mots vont s'étirer syllabe par syllabe avant que ma bouche ne les crache ? Je n'en sais rien, je mâchonne consciencieusement les petits bidules. Peut-être qu'ils vont m'aider à me retenir et qu'on ne me mettra plus ma culotte sur la tête ? Sais pas. Je mâchouille en silence.

J'habite à Grigny, dans un appartement sombre, au second étage d'une petite maison entourée d'un jardin. Je viens de descendre et de passer la porte d'entrée, dans l'intention d'aller jouer sous le saule pleureur. Lui, c'est mon ami. Ses longues branches se referment sur moi et me protègent. Et puis il pleure silencieusement, lui aussi, c'est pour ça qu'il porte ce drôle de nom et c'est pour ça que je l'aime bien.

Pourquoi est-ce qu'il n'est pas là ? A la place se trouve un jardin très différent de celui que je connais, plein d'herbes très hautes, presque aussi hautes que moi, et très sèches. J'ai affreusement peur tout à coup. Mon coeur s'emballe et mes jambes s'amollissent, tandis que j'observe les herbes qui me semblent désormais menaçantes. J'ai envie de hurler, mais ma gorge est si nouée qu'elle ne laisse passer aucun son. Je viens de me rendre compte qu'il y a des serpents, cachés dans les herbes, et qui soulèvent leurs têtes et le haut de leurs corps écaillés en s'approchant de moi. Je fais vivement demi-tour et repasse la porte, puis me précipite dans l'escalier pour remonter chez moi. Les serpents me suivent et mes pas, que je voudrais géants, deviennent de minuscules pas de souris : je gravis au ralenti les marches, terrorisée et consciente de la présence derrière moi d'êtres venimeux et rampants. J'atteins progressivement le pallier du second étage et crie : mes parents vont m'entendre et venir me sauver. Parce que les parents font toujours ça, non ? Ils sauvent leurs enfants ?... La porte s'ouvre, ça va aller, les serpents ne m'auront pas, la porte s'ouvre... La porte s'ouvre et mes parents sont là. Et le monde s'effondre : mes parents sont des serpents, eux aussi, de terrifiants serpents. Je me réveille en sueur, hurlant. Je ne serai pas sauvée.

La récurrence de ce cauchemar rejoint celle de sa voix criarde qui s'élève de l'autre côté du mur et qui m'ordonne brutalement de la fermer. S'est-elle jamais levée pour me prendre dans ses bras et apaiser mes terreurs ?... Je serre fort mon ours en peluche en avalant mes larmes et mes cris. Mon ours en peluche n 'a pas de nom. Il s'appelle ''mon ours''.

Le loup revient fréquemment, lui aussi. Sa gueule grande ouverte laisse apparaître des crocs acérés. Ses yeux me transpercent. Il va me dévorer. Cette image est inscrite en moi comme un leitmotiv. J'ai peur de m'endormir, je sais que cette gueule effrayante va réapparaître. Elle se matérialise brusquement devant moi et me réveille en sursaut. J'ai tellement peur que je me liquéfie. Je crie, j'appelle. J'ai envie d'aller aux toilettes. Mais, bien sûr, je suis paralysée dans mon lit. Sa voix hurle que je n'ai qu'à me lever, et surtout, surtout, que je la ferme. Je voudrais bien, mais je sais qu'elle ment quand elle dit qu'il n'y a pas de loup. Une foutue image hypnagogique m'indique tout le contraire. Je sers ''mon ours'' dans mes bras. Fort. Très fort. Demain, on me mettra ma culotte sur la tête. Demain, elle hurlera que je suis une souillon. Mais j'aime encore mieux ça que d'être dévorée. Alors je me rendors.

En vérité, il lui est arrivé de se lever. Non pour me réconforter, mais pour éviter de devoir changer mes draps (parce que le chemin qui permet de rejoindre les toilettes est plein de la gueule ouverte du loup). Elle l'a toujours fait en me hurlant dans les oreilles de sa voix aiguë, détestable, pleine de haine. J'en ai mal à la tête. Et puis je trouve qu'elle a une drôle d'odeur depuis quelques temps. Avant, elle sentait bon, c'était réconfortant. Je ne sais pas ce que c'est que cette nouvelle odeur. Je ne l'aime pas. Je comprendrai plus tard que ce sont les relents du Ricard, qu'elle boit pur et au goulot.

Je n'ai plus peur des loups. Je déteste le Ricard et ses succédanés qui puent. La nuit n'est plus mon ennemie, je me suis acclimatée aux présences de l'ombre. Je serre toujours ''mon ours'' dans mes bras. Mais ne vous avisez surtout pas de crier à côté de moi. Surtout si votre voix est aiguë.

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